Yohann Cordelle

Photo Journaliste

Love Room

Les collectifs technos et sexpositifs à la recherche d'une nouvelle liberté après #Metoo

 


Vendredi 9 décembre 2022 : Les collectifs Microclimat et laFesste organisent la Microfesste, une soirée techno dans un restaurant à Aubervilliers. Ils attendent 1200 personnes.

18h20

Lëilø du collectif laFesste installe la Love room : un espace pour celle·ux qui souhaitent avoir des relations sexuelles lors de la soirée. Au fond une croix de saint André pour les amateur·ices de BDSM.

18h37

Brett du collectif laFesste transforme l’étage du restaurant en un coin confortable. “Personnellement je ne vais pas dans la love room car je tiens à mon intimité sexuelle. Mais je les installe, je trouve ça génial de le proposer dans un cadre safe

19h09

Des préservatifs, du lubrifiant et des gants en latex sont répartis dans la love room afin de contribuer à la réduction des risques de transmission des IST.

20h40

Léopoldine du collectif Kluster réalise la signalétique « l’idée m’a pris de faire des petits dessins érotiques sur le panneau Love Room ; seulement, je ne voulais pas représenter qu’un type normé d’appareil génitaux, alors je me suis aidée d’une recherche google pour sortir des représentations classiques et ajouter un peu de diversité! »

01h11

Soa de Muse, célèbre drag queen, descend de la Love Room pour sa performance. L’espace servait de loge en début de soirée.

01h52

Fin des performances. Manly B a “emprunté” la signalétique et donne avec humour rendez-vous dans la Love Room. Martin Dust Le maître de cérémonie charrie les organisateurs « Ils sont mignons les hétéros ils mettent des matelas dans leurs Backroom »

01h53

Estelle vient récupérer la signalétique. Iel est “Angel” organise l’espace en ayant “conscience de ses enjeux, de ses risques”. Iel “cherche à les expliciter voire à les réduire ou offrir les moyens de responsabiliser les usager·es”. 

Le Sexpositvisme est politique, la liberté sexuelle est politique, baiser est politique, nos corps, nos sexualités, tout est politique. Ouvrir une Love Room ne devrait pas se faire sans un minimum de réflexions et de reconnaissance de notre impact sur des communautés oppressées, marginalisées.  Mon rôle est de  sensibiliser et s’assurer de réduire les risques notamment en terme de consentement et donner des repères aux participant·es, qu’on sache qui sont les personnes ressources si on a besoin. Que personne ne se retrouve seule face à une situation inconfortable ou grave.

03h47

A l’entrée de la Love Room Jonathan, “Angel”, filtre les entrées. Il s’assure que chaque personne est informée des règles de consentement le consentement c’est important ! Pour toi, envers ton/ta/tes partenaire(s), envers les autres personnes là-haut, tu dois t’assurer du consentement, même juste pour un regard ! Et s’il y a un souci, intervenez ou venez nous voir

04h09

Une file d’attente s’est formée devant l’entrée de la Love Room. Estelle filtre l’entrée.

”D’abord amateur et bénévole, j’ai commencé par apprendre sur le terrain à une époque où les formations n’existaient pas vraiment. (…) Depuis, j’ai renforcé mes connaissances empiriques par des certifications, des formations plus spécifiques (santé mentale, addictologie, vie sexuelle et affective…) (…)  Je pense que c’est vraiment ça qui m’anime : mettre mes compétences au service de la teuf pour que le plus grand nombre puisse profiter pleinement de ces espaces de liberté tout en augmentant leur compréhension et leur sensibilisation aux risques et aux moyens de les réduire. J’aime l’idée que tout est possible et donc plus rien n’est obligatoire. C’est une vraie liberté aussi de pouvoir dire non, de ne pas entrer dans une logique de consommation mais vraiment y aller avec un appétit exploratoire, une envie, un désir et voir ce qui se passe ou pas avec bienveillance et sans pression.”

05h02

Antoine, DJ (et cofondateur de Microclimat) mix pour les danseurs qui n’hésitent pas à arborer des tenues kinky.

”Microclimat qui vient avant tout de la rave des années 90 (…) à  intégrer cette évolution des mœurs et permettra à son public de profiter de cette liberté sexuelle dans des conditions, de bienveillance et de sécurité optimales.”

05h23

Romane et Baptiste sont venus en couple ce sont des habitués des soirées du collectif  laFesste. Ils regardent les danseurs depuis le balcon.

”On aime pouvoir faire ce que bon nous semble. C’est agréable de pouvoir s’habiller comme l’on veut sans que personne ne vienne nous dire quoi que ce soit ou se mette à nous juger. C’est assez cliché, c’est clair, mais c’est clairement ce sentiment de liberté et de tranquillité avec les personnes autour qui nous venons chercher.”

05h53

Iris « Je suis plutôt habituée des soirées techno, (…) cependant ce soir-là ce furent mes premiers pas dans une love room, en tant qu’observatrice tout d’abord. J’y rencontrai ce garçon dont j’ai maintenant oublié le prénom. Quelques mots échangés. Nos chemins se séparent vite. Je le recroisais à plusieurs reprises dans la foule. Un visage familier. Puis nos premiers contacts. J’ai envie d’être seule avec lui. (…)  Cette expérience fut assez libératrice pour moi et (…) j’ai apprécié cet espace safe qui permet une réponse à un désir brut, la rencontre momentanée de deux personnes, la bienveillance, le partage, l’absence de jugement. Une parenthèse dans nos quotidiens ».

06h50

Romane et Baptiste sont les prochains à accéder à la Love Room.

« On est tous les deux attirés par ce type de soirée. (…) ça a permis une certaine sérénité et surtout la découverte de plein de choses à deux. Ça nous a permis d’avoir plus confiance l’un envers l’autre. En tout cas on est plus tranquille dans notre relation, de base nous ne sommes pas très compliqués. (…). Nous n’avons pas trop peur de pouvoir nous dire les choses clairement. Tout ça vient du fait que nos expériences dans ce type de soirée nous ont permis de nous rapprocher, je dirais que ça enlève pas mal de tabou dans un couple. »

08h37

La soirée est finie, la Love Room est fermée.
Le rangement commence.

08h48

Antoine rapporte la croix de St André pendant que les bénévoles démontent la sono et la scénographie.

« L’idée de monter des fêtes aussi libres que possible est venue avec des copains il y a 10 ans. À la base ce sont des free party colorées dans les bois, avec une première partie en mode pique-nique. (…) dans les années 90 on étaient fièr·e·s de dire que dans les raves on  draguait pas et on n’emmerdaient pas les filles (…) c’était un lieu de camaraderie et de respect. (…) Le sex est revenu mais avec des règles de respect de consentement (…) il est plus visible plus ostentatoire (parures , harnais, fille seins nus…) et des backrooms inspirées des milieux gays mais cette fois ouvertes à tout·e·s.”

09h08

Les bénévoles chargent les camions.

« Je quitte la zone industrielle d’Aubervilliers épuisé et la tête bourdonnante, mais ravi par l’ouverture et la bienveillance des personnes à qui j’ai parlées du reportage. Que des espaces dédiés aux sexualités soient réfléchis et mis en place de manière aussi ouverte est inhabituel dans nos normes sociales et je trouve réconfortant de voir les personnes qui en jouissent. J’ai échangé mon contact avec tous ceux que j’ai photographiés. Certains souhaitent garder leurs photos privées et je fais le deuil de quelques beaux clichés. 

Je suis un peu inquiet pour les autres, seront-ils toujours aussi ouverts à l’idée de figurer dans mon reportage sur le milieu sexpo une fois l’euphorie de la soirée passée ?  Prendront-ils le temps de répondre à mes interviews ? Mon reportage tiendra-t-il la route ? 

Mon esprit vagabonde et je me perds dans la quête du métro.” – Yohann Cordelle

La FIN

Remerciements

​​Je tiens à remercier Isadora pour sa confiance et pour m’avoir permis de réaliser ce reportage. Je remercie également tous les organisateurs et bénévoles de Microclimat et LaFesste qui m’ont accueilli avant et pendant le démontage.
Je suis très reconnaissant envers tous ceux qui ont accepté d’apparaître dans mon reportage : Lëilo, Brett, Léopoldine, Soa de Muse, Valentina Rossa, Manly B, Martin Dust, Estelle, Jonathan et Antoine.

Je tiens à remercier particulièrement Romane, Baptiste et Isis, qui ont accepté de se confier, ainsi que ceux qui souhaitent rester anonymes.
Je remercie auusi Cha Gonzalez, cette photographe qui a capturé l’essence de la fête dans sa série Abandon, m’a inspiré et donné envie de faire ce reportage.

Enfin, je remercie Gaëlle et Myriam pour leurs précieux conseils et Octavie pour son soutien dans toutes les étapes de ce projet.